l’Intelligence Artificielle séduit les ados, les psychologues s’inquiètent
Adolescents et intelligence artificielle : entre fascination numérique et inquiétudes des psychologues

De plus en plus d’adolescents passent une partie significative de leur temps à échanger avec des intelligences artificielles. Pour certains, ces conversations virtuelles remplacent progressivement les interactions réelles avec leurs amis ou leur famille. Une tendance qui suscite l’inquiétude des spécialistes en santé mentale, lesquels appellent à une réflexion urgente sur l’impact social et émotionnel de ces usages.
Une génération en dialogue constant avec l’IA
En l’espace de quelques années, les outils d’intelligence artificielle ont trouvé une place dans le quotidien des jeunes. Qu’il s’agisse de ChatGPT, utilisé pour l’aide aux devoirs, ou de chatbots à vocation émotionnelle comme Character AI ou Replika, ces compagnons numériques séduisent de nombreux adolescents. Une enquête publiée par Common Sense Media en 2025 révèle que 72 % des jeunes Américains interrogés ont déjà eu recours à ce type d’outil, et plus de la moitié affirment les consulter régulièrement.

Ces chiffres n’ont pas échappé à l’American Psychological Association (APA). Les experts redoutent que le développement affectif et social des adolescents puisse être fragilisé si leurs liens intimes se construisent avec des entités artificielles programmées pour répondre de manière complaisante plutôt que sincère.
Entre risques et bénéfices
Le rapport intitulé Talk, Trust, and Trade-Offs: How and Why Teens Use AI Companions nuance toutefois le débat : l’IA n’est pas nécessairement néfaste. Selon l’usage qui en est fait, elle peut tout autant contribuer à améliorer la santé mentale des jeunes que l’affaiblir. L’enjeu, pour les chercheurs, n’est donc pas d’interdire l’IA, mais de créer des systèmes mieux adaptés aux besoins spécifiques de cette tranche d’âge.
Des outils pensés pour les adultes
L’une des principales critiques formulées par l’APA concerne la conception même de ces technologies. Les modèles conversationnels disponibles sur le marché ont été conçus pour un public adulte, sans réelle anticipation des vulnérabilités propres aux adolescents. Ni leur stade de développement cognitif, ni leur sensibilité face aux contenus sensibles ou à l’illusion relationnelle n’ont été pris en compte.

Ainsi, des plateformes comme ChatGPT, Gemini ou Character AI peuvent produire des contenus inadaptés : stéréotypes, conseils dangereux, voire réponses à caractère sexuel. Le risque est d’autant plus grand que près d’un jeune sur cinq déclare passer autant, voire davantage de temps avec son chatbot qu’avec ses amis réels.
Une illusion relationnelle séduisante mais trompeuse
Les psychologues soulignent également un phénomène préoccupant : la substitution affective. Les adolescents les plus isolés peuvent trouver dans ces IA une écoute constante et une validation systématique, ce qui renforce leur dépendance et accentue leur éloignement du monde réel. L’illusion de soutien et d’intimité que procurent ces chatbots n’est pas neutre : elle est conçue pour maintenir l’attention le plus longtemps possible.

Un besoin urgent d’encadrement
Pour l’APA, la question n’est pas de rejeter l’IA, mais d’instaurer un cadre clair. Parmi les pistes évoquées figurent le contrôle parental, des rappels sur les limites des chatbots, des filtres de sécurité plus robustes et une régulation du temps d’utilisation. L’éducation joue également un rôle clé. Les auteurs recommandent une véritable « alphabétisation à l’IA », dès le plus jeune âge, afin d’apprendre aux adolescents à distinguer un discours simulé d’une relation humaine, à repérer les illusions de vérité et à exercer leur esprit critique.
Éduquer plutôt qu’interdire
Les chercheurs insistent : il serait illusoire d’espérer un retour en arrière. Les adolescents ne renonceront pas à ces outils, tout comme ils n’ont pas abandonné le smartphone. Le véritable défi consiste donc à préparer la jeunesse à cohabiter avec l’intelligence artificielle de manière consciente et responsable.
Les relations humaines, avec leurs imperfections et leurs frustrations, restent un apprentissage fondamental qu’aucun programme informatique ne peut remplacer. Plutôt que de céder à la panique ou à la nostalgie d’un monde sans technologie, les experts plaident pour un accompagnement réfléchi : informer, protéger et guider les adolescents face à ces nouveaux compagnons numériques.
Sources : Scientific American, Common Sense Media